Episode 18: Entre films et Cinéma
7 Avril 2015
« Comment ça ? Tu m’as demandé mes FILMS préférés, tu n’as pas parlé de cinéma, sinon j’aurais parlé de notre remarquable cinéma soviétique ! »
Notre cher Ioura s’indignait après que ma colocataire, étudiante en marketing, lui ait demandé une liste de ses films préférés et qu’elle lui ait fait remarquer que ces films étaient en majorité américains. Elle s’est ensuite indigné qu’il n’y ait aucun film russe, même de l’air soviétique.
Cette réflexion faite par le responsable de notre troisième étage, approchant la trentaine, traduit bien le sentiment commun aux jeunes générations russes d’une gloire passée et lointaine ne laissant sur son chemin que de l’incertitude.
Cette attitude est compréhensible : les générations qui ont vécu la majorité de leur vie durant l’URSS souffrent aujourd’hui d’une grande perte de repères et le Cinéma soviétique reflète les valeurs qui pour eux sont les seules et uniques valables.
Du Goulag aux feux de l'amour
Les autres Russes ont quant à eux dans l’esprit que l’argent permet d’acheter des piscines comme dans Alerte à Malibu et d’épouser des femmes qui ont la moitié de leur âge (au mieux). Dans le « meilleur » des cas, les « oligarques », ces nouveaux riches typiquement russes, assez malins pour avoir su profiter de la situation au moment où le régime s’écroulait, ont réalisé cet idéal occidental. Ces multimilliardaires se retrouvent avec des richesses inestimables et dans la plus grande démesure. A leur décharge, il est compréhensible que le principe de classe unique dans laquelle personne n’avait rien mais de façon égale ait laissé un profond traumatisme à combler. Or, le nombre de très riche est actuellement bien inférieur au nombre de très pauvres. Voilà en partie pourquoi les films américains permettent à tous de rêver un peu à un idéal très occidental du bonheur tandis que les films russes actuels rappellent à tous la période instable actuelle et la perte des valeurs au nom desquelles l’on envoyait des gens au goulag.
Mea Culpa
Il est vrai que cette chronique est plus sérieuse que les précédentes. Cependant ne désespérez pas, il ne s’agit que du premier épisode d’une série de 2, laquelle traitera plus en détail du Cinéma russe, soviétique et contemporain. Le fait est que ces deux sujets nécessitent une introduction de manière à mieux comprendre les valeurs transmises par les différents types de films.
Valeurs forcées ou pas de valeurs ...
Cela peut paraître extrême mais comprenez bien que les jeunes russes d’aujourd’hui, ne connaissent la période passée qu’à travers les récits de les parents, grands-parents. Lesquels sont malgré tout nostalgiques de l’époque de la grande Russie qui avait des valeurs et des hommes de pouvoirs à sa tête. Voilà pourquoi Poutine ne rencontre pas une opposition si évidente (sans compter bien sûr la tolérance relative des dirigeants envers leurs opposants).
Comprenez nos amis russes : entre des valeurs certes inculquées d’une main de fer et la garantie du minimum vital pour tous et la liberté quasi absolue de croyances et pensée sans aucune garantie de logement, travail, nourriture comme c’est le cas actuellement… il devient plus aisé de se mettre à leur place le temps de regarder un sympathique film soviétique.
La Prisonnière du Caucase ou les Nouvelles Aventures de Chourik, 1967
Casse-tête cinématographique
Néanmoins, plus les films vieillissent, moins ils deviennent accessibles pour les plus jeunes. Ce que je dis doit paraître contradictoire, c’est que leur attitude est également contradictoire. En effet, d’un côté la véritable culture cinématographique russe provient des films soviétiques, de l’autre ces derniers sont progressivement boudés au profit d’histoires plus actuelles. Lesquelles sont majoritairement américaines bien qu’occasionnellement russes. A titre de comparaison : c’est comme si l’on considérait que la musique classique était la seule et unique valable et que les jeunes tout en sachant qu’ils devraient écouter Bach se contentaient de suivre la mode en écoutant du rap.
Quoi qu’il en soit les comédies russes actuelles ressemblent plus à des parodies de comédies américaines, de la façon dont elles essayent de s’approprier des valeurs qui ne sont pas les leurs. Si ce que je vous raconte vous parait abstrait, prenez n’importe quelle série policière américaine et comparez là à Cordier juge et flic. Besoin d’en dire plus ?
Les Oeufs du Destin, 2010
Gardons notre sérieux
Je l’avoue, ce ton sérieux est peu habituel de ma part, il provient de mes lectures du moment, plus particulièrement d’un livre que l’on m’a chaudement recommandé et que j’ai apporté avec moi de France : Limonov, d’Emmanuel Carrère. Limonov est un exemple parfait de la confusion qui règne en Russie depuis la chute de l’URSS et malheureusement cela ne donne pas vraiment à rire. Je me suis promis d’écrire la vérité et quelques fois celle-ci est peu propice aux blagues comme c’est le cas aujourd’hui.
Le mot de la fin
Merci pour être arrivés jusqu’à la fin de mon mini-cours magistral. La semaine prochaine notre thème sera le cinéma soviétique et je vous ferai partager l’expérience que j’ai pu en avoir.Deux amis discutant dans un restaurant :
- Tu as vu ma chemise ? Je l’ai acheté pour 5000 roubles !
- 5000 ? Moi je l’ai fait venir de Paris pour 10 000 !
- Mince, si j’avais su !
A la semaine prochaine pour un peu de cinéma, en attendant, retrouvez-nous sur :
Facebook/canardaw.comfrench
Quelques fois il faut savoir garder son sérieux...