Episode 19: Nous avons Tintin, ils ont...
15 Avril 2015
Chourik !!
Vous êtes nostalgiques de nos vieux films simples et gentils ? Je vous propose de découvrir ce anti-héros soviétique qu'est Chourik, un sympathique "journaliste" blond à lunettes (un Tintin soviétique) croisé avec Bourvil.
Je vous donne le lien pour que vous puissiez regarder l'épisode le plus connu de la série des aventures de Chourik qui s'intitule: "La prisonnière du Caucase". (n'oubliez pas d'activer les sous-titres !) Je n'ai malheureusement pas trouvé de version avec des sous-titres français et par conséquent ils seront en anglais. Rassurez-vous cependant si votre niveau d'anglais laisse à désirer, la plupart des scènes seraient compréhensibles même sans paroles.
Si cette introduction au cinéma soviétique vous a plu, retrouvez donc la suite des Aventures de Chourik: "Ivan Vassilievitch change de profession". (idem !)
Et oui !
Comme vous pouvez le constater, la chronique sur le cinéma soviétique est reportée à la semaine prochaine par faute de temps, voilà pourquoi j'ai pensé qu'elle serait plus compréhensible si vous aussi vous êtes initiés au cinéma soviétique.
J'espère que cette initiative vous plaira et que vous ne me tiendrez pas rancune pour le retard, sachez cependant que d'ici peu les amateurs de récits de voyage devraient être satisfaits ... En attendant, je vous laisse avec Chourik qui vous montrera un aspect sympathique de l'époque soviétique (Et ça rime !).
désolée du retard: ma marchroutka est passée dans un tunnel...
Maintenant que tout le monde a eu le temps de se préparer à l’idée de regarder un vieux film russe, je vous propose de vous donner les clés qui vous permettront de comprendre les valeurs véhiculées par le cinéma soviétique en général et les conditions de réalisation des films.
Dans la mesure où je n’ai pas réussi à produire cette chronique la semaine dernière, je vous propose pour celle-ci d’aborder également la thématique des films actuels.
Tout d’abord un peu de contexte. Il n’existe à l’époque qu’une seule école de cinéma, qui se trouve bien évidemment à Moscou. Il est donc facile d’imaginer que l’inculcation des « valeurs soviétiques » se faisait sans problèmes. Les valeurs soviétiques ? Je ne peux pas vous les livrer en intégralité, le sujet occupe des livres entiers. Cependant si nous nous intéressons à Chourik d’un peu plus près l’on y trouve quelques-unes des plus récurrentes. Dans la mesure où nous allons maintenant discuter des films des Aventures de Chourik, si vous ne les avez pas encore vus mais que vous souhaitez néanmoins le faire il est peut-être préférable de continuer la lecture de cette chronique après. Cela vous évitera de ne pas comprendre les références faites.
Un grand Gaïdaï tu deviendras
Tout d’abord, Chourik est réalisé par Leonid Gaïdaï, réalisateur « assermenté » par le régime soviétique. Si certains soviétiques vivaient en véritables paranoïaques à cause d’un prétendu délit/crime commis par le frère du mari de leur cousine par alliance, Gaïdaï lui dormait sur ses deux oreilles : avant de faire du cinéma il était soldat de l’Armée Rouge pendant la Seconde Guerre Mondiale. Oui mais après la guerre il faut bien s’occuper ! Il entre donc dans la seule école de cinéma de toute la Russie et 6 ans plus tard réalise son premier film. Beaucoup suivront mais tous ne sont pas cultes, cependant si vous souhaitez élargir votre culture du cinéma soviétique je vous conseille "Le bras de Diamant "
Tourné après Chourik, l’on y retrouve Youri Nikouline, clown de profession, ce qui se traduit très bien dans tous les films dans lesquels il joue : un comique troupier, simple et direct. Ce comique troupier est d’ailleurs symbolique des comédies soviétiques. En effet, il est apolitique, non discriminatoire et surtout il permet à n’importe qui de reconnaitre les méchants des gentils, qui sont curieusement méchants mais de manière presque sympathique. Prenez dans la Prisonnière du Caucase la scène où Nina se fait « emprisonner » pour qu’elle puisse être livrée à son futur époux forcé : lorsque ce dernier entre dans la pièce avec un plateau rempli de nourriture et qu’il en ressort avec toutes les victuailles sur la tête, l’on ne peut que rire, du moins sourire face à sa rencontre avec la farouche Nina et l’expression sur son visage n’est en rien agressive.
Plus fort que Chuck Norris !
Ce principe illustre l’une des orientations globales de la censure : les méchants ne sont pas russes, ils sont nés méchants. Ou alors ils sont étrangers. Les étrangers ne sont pas russes donc ils peuvent être méchants. Par contre, les gentils peuvent être russes, dans ce cas ils sont souvent de l’Armée Rouge. Prenez toujours la Prisonnière du Caucase : pourquoi le Caucase ? Tout d’abord mettons-nous d’accord : pour les Russes il s’agit en gros de la partie à l’extrémité Sud de la Russie (non, pas Volgograd, plus au Sud encore), de la Géorgie et de l’Azerbaïdjan. Ces peuples sont réputés pour être assez bruyants et pas très fins donc assez grossiers. Attention, il s’agit du cliché typique entendu en Russie par les « vrais russes », lesquels se méfient des Caucasiens. Voilà pourquoi l’oncle de Nina n’a aucun scrupule à la marier de force et pourquoi les méchants sont localisés : le cliché fait partie de la culture populaire et n’offense pour ainsi dire, personne. Il existe également un film de 1970 : Le Soleil Blanc du Désert dans lequel un soldat de l’Armée Rouge qui traverse à pied un immense désert pour rentrer chez lui et fait un grand détour pour amener en lieu sûr les 9 femmes du harem d’Abdullah le Noir car ce dernier les avait abandonnées dans une grotte et souhaitait à présent les abattre. Notre soldat réussi donc, à l’aide de son aide de camps, d’un vieil ami alcoolique et d’un homme qu’il a déterré du désert à vaincre le féroce Abdullah et sa troupe de cavaliers (pendant que trois enturbannés dorment assis contre un mur durant la totalité des 2h de film). Tout ça, sans effets spéciaux, va te coucher Chuck Norris !
Tout ça pour dire que dans ce cas-là, même si les méchants n’ont pas de nationalité déterminée, leurs noms donnent une vague indication sans pour autant viser qui que ce soit mais surtout – ils ne sont pas russes, POINT.
Comme à l'école
Parlons maintenant d’un sujet récurrent : l’amour.
Vous l’aurez remarqué, dans Chourik l’amour c’est niais. Et ça n’est pas que dans Chourik. L’évocation des sentiments et du désir est condamnée par les valeurs soviétiques. La vulgarité prohibée, tant verbale que physique. Ainsi, si deux personnages tombent amoureux, ils ressembleront à des gamins de 6 ans et demi et le spectateur frémira peut-être lorsqu’à la fin du film ils échangeront un timide bisou. C’est ça l’ère soviétique : rencontre, timide bisou, mariage, enfants, petits-enfants, confitures. C’est comme notre Métro, boulot, Dodo mais sur une période de vie plus longue. En fait, la notion d’amour est bien inférieure à celle du devoir de procréer. Le plaisir pour le plaisir ça n’est pas soviétique et je n’exagère absolument pas.
Restons réalistes
Un autre exemple de cela se trouve dans un autre film duquel je vous ai parlé aux alentours du Nouvel An : "l’Ironie du Destin"
Il s’agit de deux jeunes gens qui tombent amoureux dans des circonstances improbables bien que la jeune femme soit déjà fiancée avec un homme ayant une très bonne situation. Le film date de 1976 et en 2007, soit plus de 30 ans plus tard sort … une suite ! Dans cette suite l’on apprend que la jeune femme (qui est devenue vieille) est finalement restée avec son fiancé à la grosse voiture malgré ses sentiments pour l’autre homme. Et oui aux Etats-Unis on part du jour au lendemain avec l’opposé de soi parce qu’on a passé une nuit avec et, en Russie, on laisse partir son coup de foudre pour rester avec le mec à la grosse voiture, c’est comme ça. Bien qu’en principe on peut tout à fait concilier les deux en tombant amoureuse du mec à la grosse voiture, question de principes.
Oui, celui là c'est le mec à la grosse voiture
On assume maintenant !
La transition vers les films contemporains ayant été savamment effectuée, je voudrais vous parler d’un film de 2006 et d’un autre de 2007 ayant en commun le thème de la radio. Le premier : Peter FM (du nom d’une radio de St Pétersbourg) parle d’une histoire d’amour téléphonique entre deux jeunes gens (jusque-là, on suit), Macha perd son téléphone et Maxim le récupère par terre. Ils passeront la totalité du film à se donner rendez-vous pour la récupération du téléphone (oui il a beaucoup de batterie) mais réussiront quand même à tomber amoureux à distance et Macha cette fois, expliquera à son fiancé que leur relation n’est plus possible. C’est beau le progrès ! Enfin si on veut car ici il n’y a même pas de timide bisou !
Et oui !
Dans le deuxième film : Le Jour des Elections, est abordé en parallèle de l’histoire, le thème de l’adultère… impuni ! En effet, l’un des employés de la radio, qui pour le coup est déménagée sur une péniche, est attiré par l’une des maitresses de l’oligarque qui les a justement tous envoyés sur ladite péniche. Non seulement ils passeront une nuit ensemble mais elle n’aura pas de répercussions négatives « morales » sur l’employé. Voilà pourquoi il ne faut pas sous-estimer les progrès faits par le Cinéma Russe ces dernières années.
En blanc la damoiselle, en vert le profiteur
Et oui !
Voilà, j'espère que cette introduction au cinéma vous aura donné envie de regarder d'autres films. Je vous annonce que dès la fin de cette semaine je pars en voyage et qu'il n'y aura donc pas de chronique la semaine prochaine.
Bien entendu je vous raconterai mon périple !